Il y a des légendes qui bercent les nuits… et d’autres qui viennent vous tirer par la manche en vous glissant un petit « attention à la mer, elle n’oublie rien ».
Celle de Kópakonan, la mystérieuse femme-phoque de l’île de Kalsoy, aux îles Féroé, appartient résolument à la deuxième catégorie.
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Une statue au bord du monde
Dans le village de Mikladalur, perché sur la côte est de Kalsoy, se dresse une statue de bronze et d’acier de trois mètres de haut. Elle représente une femme nue tenant entre ses bras sa peau de phoque, comme suspendue entre deux mondes.
Cette statue, inaugurée en 2014, n’est pas une simple décoration côtière. Elle incarne une légende féroïenne aussi belle que cruelle, où amour, captivité et vengeance se mêlent dans la brume de l’Atlantique Nord.
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La légende de la femme-phoque
Une nuit magique après Noël
Selon la tradition locale, les phoques ne sont pas de simples animaux. Une fois par an, au crépuscule du douzième jour après Noël, ils se rassemblent sur les plages, quittent leur peau de phoque et dansent toute la nuit sous leur forme humaine. À l’aube, chacun retrouve sa peau et retourne à la mer comme si de rien n’était.
Mais un jeune homme de Mikladalur, témoin de cette métamorphose, tombe amoureux d’une de ces créatures. Malin, ou sournois, il vole la peau d’une femme-phoque pendant qu’elle danse. Sans sa peau, elle ne peut plus regagner la mer.
L’amour en cage
Privée de liberté, la femme-phoque est forcée d’épouser son ravisseur. Ils auront des enfants, mais son regard restera toujours tourné vers l’horizon.
L’homme cache soigneusement la peau dans un coffre fermé à clé… jusqu’au jour où, distrait, il oublie de verrouiller. La femme récupère sa peau et file vers les vagues, abandonnant sa famille humaine pour redevenir ce qu’elle est.
Une vengeance salée
La suite prend des airs de tragédie nordique : les villageois organisent une chasse aux phoques et tuent le compagnon et les petits de la femme-phoque. En représailles, elle lance une malédiction : de nombreux habitants périront noyés ou tomberont des falaises, jusqu’à ce que les noyés puissent se donner la main autour de l’île entière.
Depuis, chaque accident maritime dans les environs est, pour certains, une répercussion de cette vengeance ancienne…
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L’art comme mémoire vivante
La statue de Kópakonan, conçue par le sculpteur Hans Pauli Olsen, mêle bronze et acier inoxydable pour résister aux tempêtes féroïennes. Elle est posée directement sur les rochers de la côte, où les vagues viennent parfois la frapper de plein fouet — un ancrage symbolique et physique.
Cette façon d’ancrer une légende dans le paysage n’est pas sans rappeler d’autres sculptures chargées de sens.
• Par exemple, la statue de Momo à Hanovre transforme une figure littéraire en présence urbaine troublante.
• Ou encore Han, l’homme-sirène d’Elseneur, version masculine et contemporaine de la Petite Sirène, qui brouille les frontières entre mer et humanité.
Comme Kópakonan, ces œuvres ne sont pas de simples ornements : ce sont des récits pétrifiés, des histoires que l’on peut littéralement contourner à pied.
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Une légende entre mythe et patrimoine
Un mythe universel de métamorphose
Le thème de la femme-phoque se retrouve dans de nombreux folklores nordiques et celtiques, notamment chez les selkies écossais et irlandais. Ces êtres passent d’un monde à l’autre grâce à leur peau, souvent volée par un humain qui veut les retenir.
C’est une histoire de liberté confisquée, d’amour mêlé à la contrainte, et de retour inévitable à la mer.
Cette fascination pour les créatures hybrides n’est pas propre au Nord : en Espagne, la légende de l’homme-poisson de Liérganes raconte l’histoire d’un jeune homme disparu dans une rivière qui réapparaît des années plus tard… transformé en être amphibie. Même thème, autre latitude !
En Islande, la peau prend une tournure bien plus sombre avec les nabrok, pantalons façonnés dans une peau humaine pour acquérir pouvoir et richesse. Un rappel que la peau, entre identité et magie, est un fil narratif universel.
Un patrimoine vivant
Au-delà du folklore, cette légende structure l’identité locale. Elle relie le village à la mer, aux éléments naturels, et attire chaque année des visiteurs curieux. L’art public devient ici un outil de transmission culturelle, une manière élégante et durable de raconter les histoires d’autrefois.
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Voir la statue de cette femme-phoque
Pour visiter la femme-phoque, rendez-vous à Mikladalur sur l’île de Kalsoy, accessible en ferry depuis Klaksvík, puis par une route étroite et sinueuse ponctuée de tunnels. La météo y est souvent spectaculaire : prévoyez des vêtements chauds et prenez le temps d’écouter le vent face à la statue, il se charge très bien de la narration.
Ses coordonnées GPS sont: 62°20’07.0″N, 6°45’48.8″O (62.335265, -6.763545).
Voici sa position sur Google Maps:
Sources pour aller plus loin
• Visit Faroe Islands
• Guide to Faroe Islands
• Wikipédia
La thérianthropie existe sur tous les continents, découvrez également cette statue d’ homme-coyote issue d’une civilisation préhispanique.