On a tous, quelque part, un petit cimetière technologique : câbles “au cas où”, vieux chargeurs, routeur d’une époque où Internet faisait encore bip-bip. Zak Miskry, artiste britannique, voit plutôt là une réserve de matière première. Et il en tire un bestiaire spectaculaire : insectes, animaux, créatures mécaniques, sculptés à partir de métal de récupération et de déchets électroniques (e-waste). Le résultat est doublement satisfaisant : de loin, c’est du vivant. De près, c’est une chasse aux composants.
L’art de faire du vivant avec l’anti-vivant
Ce qui accroche immédiatement dans ses sculptures, c’est la lisibilité. Il ne “colle” pas des pièces au hasard : il compose une anatomie. Les pistes d’un circuit imprimé deviennent des nervures, un connecteur suggère une articulation, un empilement de composants fait naître une texture de carapace. Le cerveau fait le reste : il reconnaît l’insecte… puis réalise que l’insecte est fait de nos anciens objets.
Cette esthétique fonctionne particulièrement bien avec les insectes, parce qu’ils ont déjà une logique “mécanique” : segments, articulations, symétrie, rigidité. Et Zak Miskry pousse cette logique jusqu’au point où la matière industrielle devient presque organique.
Pourquoi ça fascine, même sans fer à souder
Une sculpture en e-waste peut vite tomber dans le gadget. Ici, non, parce que la matière a du sens.
Un circuit imprimé (PCB), par exemple, n’est pas qu’un support : c’est aussi un motif graphique, une géométrie, une trame. Utilisé en surface, il évoque une peau, une membrane, une aile. Ajoutez des composants (résistances, condensateurs, connecteurs, bouts de dissipateurs) et vous obtenez naturellement de la micro-structure : des aspérités, des reliefs, des segments. Sans même “imiter” le vivant, on finit par le retrouver.
Et si vous aimez ce genre de bestiaire électronique, vous avez une excellente passerelle interne avec les sculptures d’insectes en recyclage électronique d’Alice Chappell : même plaisir du détail, même bascule “déchet → créature”.
L’explosion des déchets électroniques… et quand l’art sert d’alerte
Le fond du sujet est moins poétique : l’e-waste explose. D’après l’OMS, 62 millions de tonnes de déchets électroniques ont été produites en 2022, et seulement 22,3% ont été documentés comme collectés et recyclés dans des filières formelles.
Unités à retenir : 62 millions de tonnes, c’est l’équivalent de dizaines de millions de voitures en poids… et on en recycle correctement moins d’un quart. L’UIT, co-auteur du Global E-waste Monitor, rappelle en plus que le taux documenté pourrait baisser encore si la génération continue d’aller plus vite que les filières.
C’est là que l’art “en déchets” devient plus qu’un exercice esthétique : il devient signal d’alarme. Un exemple parfait est Mount Recyclemore : une sculpture façon Mont Rushmore représentant les leaders du G7, installée en 2021 en Cornouailles, et réalisée à partir de déchets électroniques.
Selon plusieurs sources, l’œuvre a été créée avec l’implication de Joe Rush (Mutoid Waste Company) et du reconditionneur musicMagpie, avec le sculpteur Alex Wreckage, pour mettre le projecteur sur l’e-waste et encourager des comportements plus circulaires.
Avec Mount Recyclemore, le message est frontal. Avec Zak Miskry, il est plus insidieux (et c’est très efficace) : il vous attire avec un insecte sublime… puis vous réalise que vous regardez, en réalité, des morceaux de notre obsolescence.
Zak Miskry dévoile ses process
L’artiste ne se contente pas de bricoler dans son coin mais partage ses processus de création sur sa chaine Youtube.
Sa libellule par exemple est un cas d’école. Zak Miskry y explique qu’il l’a construite en métal de récup, électronique recyclée et e-waste, et que ce projet a été l’un de ses plus longs, avec plus d’un an de travail.
Le détail qui marque : les ailes. Elles reprennent l’idée de la transparence et de la nervure, mais au lieu d’un voile fragile, il utilise une esthétique de circuit imprimé, ce qui donne un rendu étonnamment “naturel” tout en restant franchement techno.
Sa luciole, elle, ajoute le petit “twist” irrésistible : l’insecte est fonctionnellement lumineux. Zak Miskry présente cette sculpture comme une idée qu’il voulait réaliser depuis longtemps, et il insiste sur un point très humain (et très vrai) : beaucoup de choses ont mal tourné en route… mais c’est aussi comme ça qu’il apprend et affine ses techniques.
Sources pour aller plus loin
Le site web de l’artiste.
Sa chaine Youtube.
Son compte Instagram.
World Health Organisation
Unitar.
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