Zahra Khanom Tadj es-Saltaneh (1883-1936) était une princesse de la dynastie Qajar, fille du roi Nasseredin Shah. Figure majeure de la société persane de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, elle s’est illustrée par son esprit indépendant, son engagement pour les droits des femmes et sa contribution à la vie culturelle iranienne.
Écrivaine, mémorialiste et militante féministe, elle a marqué l’histoire de l’Iran, bien au-delà de son image devenue virale sur Internet.
La dynastie Qajar
La dynastie Qajar a régné sur la Perse (aujourd’hui l’Iran) de 1789 à 1925. Cette période a été marquée par de profondes transformations sociales, politiques et culturelles.
Les femmes de la cour jouaient un rôle important dans la vie intellectuelle et artistique, même si elles restaient soumises à des normes strictes. La famille royale comptait plusieurs princesses influentes, comme Fatemeh Khanum et Turan es-Saltaneh, qui ont également marqué leur époque.
Zahra Khanom, née en 1883 ou 1884 selon certaines sources, fille du roi perse Naser al-Din Shah Qajar et de la princesse Turan es-Saltaneh, s’est rapidement distinguée par son aisance à manier le pinceau et la plume.
Zahra Khanom Tadj es-Saltane, pionnière du féminisme iranien
Mariée à Amir Hussein Khan Shoja’-al Saltaneh, avec qui elle a et quatre enfants, elle a fini par divorcer — un acte rare et audacieux à l’époque. Très tôt, Zahra Khanom s’est émancipée des carcans traditionnels.
Elle a organisé des salons littéraires chez elle, adopté des vêtements occidentaux, et — sacrilège ! — retiré publiquement le hijab, devenant ainsi la première femme iranienne à comparaître au tribunal pour un tel acte.
Tadj es-Saltaneh n’était pas qu’une rebelle vestimentaire. Elle a aussi été l’une des toutes premières voix à s’élever pour les droits des femmes en Iran. Elle a rejoint et cofondé l’Anjoman Horriyyat Nsevan, un cercle clandestin dédié à la liberté des femmes. Elle a aussi participé au mouvement constitutionnaliste qui visait à limiter les pouvoirs absolus du Shah.
Dans ses mémoires, publiées bien plus tard sous le titre Crowning Anguish: Memoirs of a Persian Princess from the Harem to Modernity 1884–1914, elle a décrit avec finesse et franchise la condition des femmes, la vie au harem, et la tension constante entre tradition et modernité. Une lecture aussi rare que précieuse, traduite et publiée pour la première fois en anglais en 1996.
La beauté perse : entre mythe et réalité
Zahra Khanom est devenue, bien malgré elle, un symbole de la “beauté perse”. Les photographies d’époque la représentant avec une moustache fine ont été largement partagées sur les réseaux sociaux, souvent accompagnées de commentaires sur les standards de beauté de l’époque Qajar.
Il faut dire qu’à l’époque en Iran plus une femme était masculine et plus elle était attirante. Des sourcils épais et une fine moustache était des signes de beauté recherchés. A l’inverse, plus les hommes étaient efféminés plus ils était séduisants, si bien que parfois hommes et femmes étaient difficilement différenciables dans les portraits d’époque.
La modernisation et l’occidentalisation de la société iranienne ont chamboulé ces normes au XXeme siècle.
Depuis quelques années, les images de Zahra Khanom circulent massivement sur les réseaux sociaux, souvent associées à des titres comme “la princesse perse moustachue” ou “la princesse turque moche”. Cette récupération moderne, parfois moqueuse, ne tient pas compte du contexte historique ni de la diversité des critères de beauté à travers les âges.
Il est important de rappeler que Zahra Khanom n’était ni turque, ni considérée comme “moche” dans son époque. Zahra Khanom était perçue comme une femme élégante et belle selon les critères de son temps. Le poète Aref Qazvini lui a même dédié un poème, Ey Taj, éperdument amoureux.
Rappelons qu’à la même époque, la femme à barbe Clémentine Delait restait aussi très féminine en France.
La légende des 13 hommes suicidés
Une rumeur persistante affirme que 13 hommes se seraient suicidés par amour pour Zahra Khanom, désespérés de ne pas pouvoir l’épouser. Cette histoire, , popularisée par un mème Internet au début des années 2010, ne repose sur aucune source historique fiable et relève davantage de la légende urbaine que de la réalité.
Aucun document d’archive ni témoignage contemporain ne vient corroborer ce récit, qui semble avoir été inventé pour renforcer le mythe autour de la princesse Qajar.
Cette légende est une espèce de hoax, les princesses Qajar de cette époque avaient peu de liens avec l’extérieur et peu de chance pour elles d’avoir des dizaines de courtisans énamourés. Elle reflète surtout l’orientalisme tordu d’une époque qui caricature les beautés d’hier avec les standards d’aujourd’hui.
Héritage et postérité
Décédée en 1936, Zahra Khanom Tadj es-Saltaneh laisse un héritage féministe et intellectuel trop souvent passé sous silence. En un mot : elle mérite bien mieux qu’un mème de princesse moustachue Facebook.
Son engagement pour l’émancipation féminine et son regard critique sur la société de son temps en font une figure majeure du féminisme iranien. Ses mémoires, traduites et étudiées par des chercheurs, sont une source précieuse pour comprendre la condition des femmes en Perse à la charnière des XIXe et XXe siècles.
Aujourd’hui, alors que les questions de genre et de liberté résonnent toujours plus fort en Iran comme ailleurs, sa vie prend une résonance nouvelle. Et si elle était, en réalité, l’une des premières influenceuses perses, avec une moustache et un cerveau bien affûté ?
Cette princesse iranienne a inspiré de nombreuses femmes, parmi elles la photographe Shadi Ghadirian qui a réalisé une série de portraits en hommage aux princesses de cette dynastie.
Voici quelques autres portraits de Zahra Khanom Tadj es-Saltane, princesse Qajar militante et symbole de beauté perse, une femme dont la légende urbaine raconte que 13 hommes se seraient suicidés car elle avait refusé de les épouser:
Sources pour aller plus loin
• Encyclopaedia Iranica – Tāj-al-Salṭana
• Wikipédia
• Monovisions
• Crowning Anguish: Memoirs of a Persian Princess from the Harem to Modernity 1884–1914, éd. Mage Publishers
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Autre temps autres mœurs. La beauté est toute relative et répond à de nombreuses normes sociales voire religieuses. Merci de cette présentation paradoxale.