Dans les profondeurs brumeuses des forêts indiennes, là où poussent les bambous sauvages et où l’humidité frôle l’insolence, vit une petite grenouille verte aux allures d’extraterrestre. Son nom scientifique ? Raorchestes chalazodes. Mais dans notre imaginaire, elle mérite un titre bien plus évocateur : la grenouille aux yeux psychédéliques.
Crédit photo David V. Raju (CC BY-SA 4.0).
Une grenouille qui habite… dans des bambous
Raorchestes chalazodes est une espèce aussi rare qu’étonnante. Endémique des Ghâts occidentaux à l’instar du gecko van Gogh, une chaîne montagneuse du sud de l’Inde classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, elle ne vit que dans un écosystème très particulier : les forêts humides à bambous géants du genre Ochlandra.
Longue de seulement 2 à 3 centimètres, cette mini-grenouille arbore une robe vert éclatant ponctuée de taches crème. Mais ce n’est pas son camouflage qui la rend célèbre… c’est son regard.
Crédit photo David V. Raju (CC BY-NC 4.0).
Des yeux psychédéliques à faire pâlir un caméléon
Le regard de cette petite rainette est hallucinant : son iris est d’un jaune fluorescent, parcouru de motifs noirs filamenteux. On dirait des éclairs, des racines, ou des schémas fractals dessinés par un esprit psychédélique.
Ces yeux hypnotiques ne sont pas seulement esthétiques. Ils pourraient jouer un rôle de camouflage disruptif, permettant à la grenouille de se fondre dans le décor ou de désorienter les prédateurs. D’autres hypothèses évoquent une fonction sociale : les motifs oculaires pourraient aider les individus à se reconnaître ou à communiquer. Pas mal pour un si petit batracien.
Crédit photo Froggydame (CC BY-SA 4.0).
Une grenouille papa-poule
Autre fait étonnant : chez cette grenouille, c’est le mâle qui s’occupe des œufs. Après l’accouplement dans une tige de bambou creuse, monsieur grenouille reste sur place pendant près d’un mois pour protéger les œufs, notamment des autres mâles un peu cannibales.
Pas de têtards pataugeant dans une flaque ici : les petits sortent de l’œuf déjà formés, en mode mini-grenouilles opérationnelles. C’est ce qu’on appelle le développement direct, un luxe évolutif qui évite bien des dangers aquatiques.
Crédit photo Prashanth (CC BY-NC 4.0).
Une mini grenouille taillée pour l’escalade
Avec ses 2 à 3 centimètres de long à l’âge adulte, bien en dessous de la grenouille à tête épineuse, c’est une grenouille miniature tropicale, parfaitement adaptée à la vie en hauteur dans les tiges de bambou.
Son dos est recouvert d’une peau lisse de couleur vert vif, parfois ponctuée de petites taches blanchâtres irrégulières — d’où son surnom anglais de white-spotted bush frog. Ce vert végétal lui permet de se camoufler efficacement dans les feuilles et les parois internes du bambou.
Le ventre, quant à lui, est plus pâle, tirant vers le crème ou le jaune, avec une texture légèrement granuleuse. Les membres sont fins, proportionnés, et terminés par des disques adhésifs qui facilitent l’escalade des surfaces lisses et humides. Oui, cette grenouille est une vraie acrobate arboricole.
Crédit photo Ansil B. R. (CC BY 4.0).
La grenouille aux yeux psychédéliques en danger
Découverte au XIXe siècle, Raorchestes chalazodes, aussi appelée rainette de Günther en hommage au zoologiste allemand Albert Günther qui l’a décrite en 1876, a longtemps été considéré comme disparu avant d’être redécouverte en 2011
Malheureusement, la grenouille aux yeux psychédéliques est menacée. Très dépendante de son habitat en bambous, elle souffre de la déforestation, de l’exploitation des ressources naturelles et du réchauffement climatique.
Classée comme espèce en danger critique d’extinction par l’UICN comme la grenouille Goliath, elle est devenue un symbole de la fragilité des écosystèmes tropicaux.
Crédit photo Vipin Baliga (CC BY-NC-ND 2.0).
Sources pour aller plus loin
• UICN
• Amphibiaweb
• Phys
• Wikipedia
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