Birmanie : les dernières femmes de la tribu Chin au visage tatoué

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Il suffit parfois d’un regard pour traverser le temps. Les portraits réalisés par le photographe polonais Adam Kozioł nous emmènent dans les montagnes reculées de l’ouest birman, à la rencontre des dernières femmes de la tribu Chin portant fièrement leurs tatouages faciaux traditionnels. Un patrimoine vivant… en voie d’extinction.

La tribu Chin, un peuple de montagne méconnu

La tribu Chin vit principalement dans l’État Chin, une région montagneuse du Myanmar (ex-Birmanie), à la frontière de l’Inde et du Bangladesh. Longtemps isolés géographiquement, les Chin regroupent une mosaïque d’ethnies partageant des langues tibéto-birmanes et des traditions très variées.

Historiquement, ces communautés vivaient de l’agriculture en terrasse et de la chasse. Leur relative autonomie a perduré jusqu’à l’intégration du territoire dans l’Empire birman, puis sous la colonisation britannique. L’État Chin reste aujourd’hui l’une des régions les plus pauvres du pays, mais aussi l’une des plus culturellement riches.

Les tatouages faciaux des femmes Chin : entre légendes et rites initiatiques

Les tatouages faciaux des femmes Chin remontent à plusieurs siècles.
Une légende tenace raconte qu’ils servaient à “enlaidir” les jeunes filles afin de les protéger des enlèvements par les rois birmans, fascinés par leur beauté.

Mais la réalité est plus complexe : ces tatouages étaient aussi un marqueur identitaire fort, indiquant l’appartenance à un sous-groupe ethnique, l’âge, et parfois le statut social.

Les motifs varient selon les sous-groupes Chin :
• Certains couvrent entièrement le visage de traits bleus ou noirs ;
• D’autres dessinent des lignes verticales autour des yeux et du nez ;
• Le pigment, souvent à base de suie et de sève, était appliqué avec des épines ou des aiguilles de bambou.

Le tatouage était réalisé à l’adolescence, lors d’un rituel initiatique accompagné de chants, de prières et d’offrandes. Une façon de montrer qu’elles avaient atteint l’âge de la puberté.

Une tradition en voie d’extinction

À partir des années 1960, le gouvernement birman a interdit les tatouages faciaux, les jugeant “barbares” et inadaptés à la modernité. Cette interdiction, combinée à la christianisation rapide de la région et aux pressions sociales, a entraîné un abandon progressif de la pratique.

Aujourd’hui, seules quelques femmes très âgées portent encore ces tatouages. La plupart sont nées avant les années 1950. Avec elles disparaît un patrimoine immatériel unique, qui ne se transmet plus aux jeunes générations.

Le regard d’Adam Kozioł

Photographe autodidacte polonais, Adam Kozioł s’est lancé depuis 2013 dans un vaste projet : documenter visuellement les dernières ethnies pratiquant des modifications corporelles traditionnelles.
De l’Afrique à l’Asie, il capture ces traditions fragiles avec une rigueur documentaire et une sensibilité artistique rare comme par exemple avec ces images de la tribu Yali en Papouasie occidentale ou de la tribu Hamer de la vallée de l’Omo.

Ses portraits des femmes Chin sont sobres, puissants et profondément humains avec un fond neutre, une lumière naturelle et des regards directs. Chaque visage tatoué devient une archive vivante, une mémoire inscrite dans la peau.
L’approche est respectueuse, loin de l’exotisme facile.

Mémoire, transmission et renaissance culturelle

Même si les tatouages faciaux ne sont plus pratiqués, la mémoire de ces femmes perdure grâce aux images et aux récits.
Certaines jeunes générations Chin redécouvrent aujourd’hui cet héritage et cherchent à le faire vivre autrement : tatouages symboliques modernes, créations artistiques, projets communautaires.