Il y a des sculptures qui traversent les siècles dans un calme olympien… et puis il y a le Penseur de Cleveland, qui a survécu à une explosion. Oui, une vraie. Trois bâtons de dynamite, pour être exact. Installée fièrement devant le Cleveland Museum of Art, cette version unique de l’œuvre iconique d’Auguste Rodin est devenue bien plus qu’une statue : un symbole de la résistance, de l’histoire… et de la capacité de la pensée à rester zen même quand tout explose autour.
Crédit photo Tim Evanson (CC BY-SA 2.0).
Une œuvre mythique signée Rodin
Auguste Rodin (1840-1917) n’a pas seulement donné au monde une sculpture : il a donné une posture universelle, celle d’un homme nu, concentré, le menton posé sur sa main, tout entier absorbé dans ses réflexions. À l’origine, cette figure devait représenter Dante méditant devant les portes de l’Enfer. Mais au fil du temps, elle est devenue l’icône même de la pensée.
D’ailleurs, cette posture a inspiré de nombreuses réinterprétations contemporaines, comme Le Penseur obèse — une version tout aussi contemplative, mais avec un humour aussi rond que ses formes.
Crédit photo Erik Drost (CC BY 2.0).
Le Penseur de Cleveland, une pièce rarissime
La version exposée au Cleveland Museum of Art est l’une des rares éditions coulées du vivant de Rodin, moins d’une dizaine dans le monde. Réalisée vers 1916, elle a été offerte au musée en 1917 et installée depuis sur les marches du parc Wade Park.
Caractéristiques techniques :
• Hauteur : 182,9 cm
• ⚖️ Bronze massif
• ️ Installation extérieure permanente
Exposée à ciel ouvert depuis plus d’un siècle, cette sculpture a vu défiler les saisons, les guerres, les étudiants en art… et un soir de mars 1970, un tout autre type de visiteur.
Crédit photo George Bernstein (CC BY-NC-ND 2.0).
1970 : la bombe qui a secoué la pensée
Le 24 mars 1970 à 00h44, une explosion secoue le musée : un engin équivalent à trois bâtons de dynamite pulvérise la base du Penseur. La statue est projetée au sol, ses jambes sont éventrées et des morceaux de bronze s’éparpillent jusqu’à 150 mètres plus loin.
L’attentat — jamais revendiqué — s’inscrit dans une période politiquement tendue aux États-Unis (Vietnam, mouvements radicaux, contestations). Mais le plus surprenant vient après : le musée décide de ne pas réparer complètement la sculpture. Elle sera remontée telle quelle, avec ses blessures apparentes.
Cette décision transforme le Penseur de Cleveland en une œuvre double : à la fois chef-d’œuvre de Rodin et témoin silencieux d’un acte de violence politique.
Crédit photo David Ellis (CC BY-NC-ND 2.0).
La beauté dans la cicatrice
Le bronze, matériau noble et durable, conserve les traces comme des rides sur un visage. Les jambes mutilées de la statue racontent désormais une seconde histoire, celle de la fragilité de l’art public face aux soubresauts de l’Histoire.
Ce choix de ne pas masquer les blessures rappelle la démarche de certains artistes de l’avant-garde qui ont fait de l’imperfection un langage. Une époque où la pensée se confrontait à la modernité, comme l’incarne Valentine de Saint-Point, muse rebelle fréquentant Rodin et immortalisée par Mucha.
Crédit photo David Ellis (CC BY-NC-ND 2.0).
Le Penseur… et l’ombre des élites artistiques
Rodin n’était pas un sculpteur isolé dans son atelier : il évoluait dans des cercles artistiques brillants, fréquentés par des figures comme la comtesse Élisabeth Greffulhe, mécène influente et muse de l’élite parisienne. Ce genre de soutien a largement contribué à faire connaître son travail et à asseoir sa réputation internationale.
Le Penseur de Cleveland porte donc à la fois le poids d’un héritage artistique et celui de l’Histoire. Pas mal pour une sculpture assise sur un piédestal.
Crédit photo Erik Drost (CC BY 2.0).
Le Penseur de Cleveland aujourd’hui
Plus d’un siècle après sa coulée et plus de 50 ans après l’explosion, la statue trône toujours devant le musée. Les visiteurs s’arrêtent souvent pour observer les jambes endommagées, comme on contemple une cicatrice de guerre sur un vieux sage.
Ce n’est pas seulement une œuvre d’art : c’est un monument à la mémoire, une méditation en bronze sur la fragilité de la culture et la puissance de la pensée.
Cleveland l’a adoptée comme une figure locale, un peu comme une mascotte silencieuse, immobile et indestructible (enfin… presque).
Son adresse est: 11150 East Blvd, Cleveland, Ohio, 44106, États-Unis.
Ses coordonnées GPS sont: 41° 30′ 32.515″ N, 81° 36′ 42.052″ O (41.509032, -81.611681).
Voici sa position sur Google Maps:
Sources pour aller plus loin
• Atlas Obscura
• Cleveland Museum of Art
• Wikipédia
• Cleveland Magazine
Et à toute proximité se trouve, au Cleveland Museum of Natural History, naturalisé le chien Balto dont une statue trône à Central Park à New York.