Au fil de l’histoire, de nombreux hors-la-loi ont acquis une telle célébrité que leurs exploits sont devenus légendaires, les transformant en personnages romancés dans le folklore, la littérature et le cinéma, malgré leurs activités criminelles.
Des figures comme Jesse James, Billy the Kid, Butch Cassidy et Bonnie & Clyde sont ainsi devenus des symboles de la rébellion.
Et si le Far West américain a vu naître certains des bandits les plus célèbres, le phénomène du banditisme a toutefois traversé les cultures et les époques du monde entier comme le montre l’histoire de Ned Kelly, le Iron Man australien.
L’armure artisanale que Ned Kelly et sa bande portaient lors de leur confrontation finale avec la police. Crédit photo : Musée national d’Australie.
Ned Kelly, une icone australienne
Ned Kelly, le hors-la-loi australien par excellence bien que d’origine irlandaise, s’est imposé comme un héros populaire pour sa résistance aux autorités coloniales et pour son armure artisanale désormais mythique.
S’il n’a pas la renommée internationale de celle de ses homologues américains, Ned Kelly reste toutefois au cœur du folklore et de l’identité culturelle australienne. Son histoire reflète en effet le contexte du XIXᵉ siècle en Australie, marqué par l’histoire coloniale, les difficultés des colons irlandais et un ressentiment profond envers une police qui visait fréquemment sa famille.
Né en 1854 à Beveridge, au nord de Melbourne, Ned Kelly a grandi dans une ferme où il s’est familiarisé très tôt avec le bush australien. Dès son plus jeune âge, il manifestait un courage atypique : on raconte qu’il a sauvé un enfant de la noyade dans un ruisseau, geste pour lequel la famille de la victime lui a offert une écharpe verte – la même qu’il a porté lors de son dernier combat en 1880.
À 14 ans, il fait la rencontre d’Harry Power, un bandit armé qui deviendra son mentor et avec qui il commettra de nombreux vols à main armée. Toutefois, la relation s’est dégradée lorsque Power a été arrêté et que des rumeurs ont prétendu que Ned l’aurait trahi pour échapper aux poursuites.
Ned Kelly le 10 novembre 1880, un jour avant son exécution.
Une vie de crimes et de provocations
La carrière criminelle de Ned Kelly s’est poursuivi, principalement marquée par des vols de chevaux en collaboration avec divers gangs.
Ses frasques l’ont régulièrement conduit à croiser le fer avec la police.
Une anecdote illustre bien son tempérament : après avoir été arrêté pour conduite en état d’ivresse, un agent nommé Thomas Lonigan aurait attrapé ses parties intimes, poussant Ned à jurer, « Eh bien Lonigan, je n’ai jamais tiré sur un homme… mais si jamais je le fais, tu seras le premier ! » Et, fidèle à sa parole, en 1878, lors d’une confrontation où lui et son frère Dan fuyaient après avoir blessé un policier, Ned a tué Lonigan, qu’il a qualifié de « l’homme le plus méchant contre lequel j’ai eu affaire ».
L’altercation avec la police, au cours de laquelle trois agents ont péri, a poussé le gouvernement de Victoria à déclarer Ned Kelly et sa bande hors-la-loi et a offrir une récompense de 2 000 £ pour leur capture. Ce massacre a également abouti à l’adoption du Felons Apprehension Act par le Parlement de Victoria, autorisant quiconque à tuer les bandits sans encourir de sanctions.
Moins de deux mois après la fusillade, le gang Kelly a braqué une banque à Euroa, dans le nord-est de Victoria, dérobant plus de 2 200 £ en espèces et en or lors d’une opération soigneusement orchestrée.
Deux mois plus tard, à Jerilderie, situé à 65 km de la frontière en Nouvelle-Galles du Sud, ils se sont emparés de 2 100 £ supplémentaires et d’objets de valeur. Avant de repartir, Ned a brûlé des documents officiels – actes notariés, hypothèques et titres – en proclamant que « les banques sanguinaires écrasent le sang de pauvres hommes en difficulté ».
Ned Kelly nourrissait une hostilité profonde envers l’autorité et n’hésitait pas à dénoncer la corruption policière et l’injustice sociale. Il a notamment écrit à un parlementaire victorien pour exposer les mauvais traitements subis par sa famille et, avant le braquage de Jerilderie, il a rédigé un manifeste de 56 pages justifiant ses actions, appelant à une rébellion ouverte contre les Anglais coloniaux et exhortant les « squatteurs » à partager leurs richesses avec les démunis des campagnes.
Le massacre de Stringybark Creek, qui a entraîné la mort de trois policiers, dont Thomas Lonigan.
Un soutien populaire
Les exploits de Ned Kelly ont trouvé un écho particulier parmi les Irlandais pauvres d’Australie, souvent victimes de discrimination et d’abus. Pour ses partisans, il incarnait non seulement la résistance contre un système corrompu, mais aussi la défense de la classe ouvrière face aux riches propriétaires terriens et à une justice partiale. Son courage et ses accusations virulentes contre l’autorité lui ont valu une immense sympathie.
Après le raid de Jerilderie, la prime sur sa tête a grimpé à 8 000 £, une somme inédite pour l’époque, alors que les gouvernements de Nouvelle-Galles du Sud et de Victoria rivalisaient d’ingéniosité pour mettre fin à ses activités.
En fuite, Ned Kelly et sa bande – composée de son frère Dan, de Joe Byrne et de Steve Hart – ont élaboré un plan audacieux destiné à « étonner non seulement les colonies australiennes, mais le monde entier ».
Le gang de gauche à droite : Dan Kelly, Steve Hart et Joe Byrne.
L’ambitieux Plan de Glenrowan
En juin 1880, seize mois après l’affaire Jerilderie, Dan Kelly et Joe Byrne ont abattu Aaron Sherritt, un ancien membre du gang devenu informateur, lors d’un meurtre survenu chez lui, près de Beechworth, sous les yeux de quatre policiers. Le gang s’attendait à une réaction rapide de la police, prévoyant l’arrivée imminente d’un train spécial en provenance de Melbourne. Selon leurs calculs, le train s’arrêterait à Benalla pour y prendre des renforts avant de continuer vers Glenrowan, une petite ville des Warby Ranges.
À Glenrowan, le plan était d’embusquer le train, de faire dérailler ses wagons et d’éliminer les survivants pour ensuite se diriger vers Benalla. Leur objectif était alors de bombarder le pont ferroviaire sur la rivière Broken, isolant ainsi la ville et leur offrant le temps nécessaire pour piller les banques, détruire la caserne de police, incendier le palais de justice, libérer les prisonniers et semer le chaos avant de disparaître dans le bush.
La catastrophe a été évitée de justesse lorsque le conducteur, alerté par les rails endommagés, est parvenu à arrêter son train à temps. Entre-temps, la police a fait irruption dans l’hôtel local où le gang s’était réfugié avec plusieurs otages.
Armure de tête de Ned Kelly. Crédit photo : State Library Victoria
La création de l’armure légendaire
Pendant plusieurs mois précédant la confrontation finale, Ned Kelly et ses acolytes ont forgé des armures rudimentaires mais efficaces. À partir de versoirs récupérés dans des charrues volées, ils ont chauffé le fer dans une forge de fortune, puis l(ont forgé et découpé pour façonner des plaques qu’ils ont riveté ensemble.
Chaque armure, constituée de fer de 6 mm d’épaisseur, se composait d’un long plastron, de plaques d’épaule, d’une protection dorsale, d’un tablier et d’un casque. Ce dernier, ressemblant à une boîte de conserve dépourvue de rebord, comportait une longue fente pour les yeux et était maintenu en place par des sangles de cuir afin de soulager les épaules du poids (qui atteignait pas moins de 44 kilogrammes dans le cas de Ned Kelly).
La dernière bataille
Pendant onze heures, la bande de Ned a affronté une quarantaine de policiers, qui n’ont réalisé la présence de l’armure qu’une fois la confrontation bien entamée.
À l’aube, dans la brume, la silhouette massive et presque surnaturelle de l’armure de Kelly a inspiré une crainte quasi superstitieuse chez les agents. Les témoins oculaires l’ont décrite tantôt comme « une étrange apparition », tantôt comme « un démon à la vie enchantée ».
« Une étrange apparition : le combat et la capture de Ned Kelly », gravure sur bois, publiée dans The Age. Crédit photo : State Library Victoria
L’un des policiers, abasourdi, a confié : « J’ai tiré sur lui à bout portant… mais il ne sert à rien de tirer sur Ned Kelly, il ne peut pas être blessé ». Pourtant, malgré la résistance de son armure, les tirs ont infligé de multiples contusions et lacérations, révélant les points faibles de cette protection : seuls la tête et le torse étaient couverts, laissant les membres exposés.
Ned Kelly a été touché à la main gauche, au bras gauche et au pied droit, tandis que Joe Byrne fut atteint au mollet. Dans les derniers instants du combat, Dan Kelly et Steve Hart ont péri.
Grièvement blessé, Ned s’est réfugié dans les buissons derrière l’hôtel, restant étendu durant la majeure partie de la nuit. À l’aube, toujours équipé de ses trois pistolets et de son armure, il a lancé un dernier assaut contre la police. Alourdi par ses blessures et l’impact continu des balles sur ses plaques de fer, il avançait en titubant d’arbre en arbre.
Finalement, la fusillade, qui a duré environ 15 minutes, s’est conclue par deux tirs de fusil de chasse dans les jambes et les cuisses non protégées de ce chevalier de fer.
Transporté à la gare, un médecin a constaté que Ned Kelly avait subi vingt-huit blessures : de graves impacts par balle au coude et aux pieds, ainsi que de multiples coupures et écorchures causées par l’impact des projectiles sur son armure.
« La capture de Ned Kelly », gravure sur bois, publiée dans The Illustrated Australian News. Crédit photo : State Library Victoria
Jugement et symbole
Après avoir été soigné, Ned Kelly a été jugé et condamné à mort par pendaison. Malgré les protestations massives de milliers de sympathisants réunis à Melbourne, le sursis n’a pas été pas accordé. Le 11 novembre 1880, Ned Kelly a finalement été pendu (au moins il n’aura pas subi une exécution bâclée à la Jack Ketch).
L’exécution n’a pas mis fin aux controverses. Au contraire, le gouvernement de Victoria a lancé une enquête sur la conduite de la police durant l’épisode Kelly. Bien que le rapport a conclu à une réaction adéquate face à la criminalité, il a également révélé une corruption endémique au sein de la force, entraînant la fin de carrières du commissaire en chef et des sanctions pour de nombreux policiers de haut rang.
La révélation de l’armure de Ned Kelly a fait sensation non seulement en Australie, mais aussi à l’étranger. Même Arthur Conan Doyle a été impressionné par l’ingéniosité du dispositif, évoquant la possibilité pour l’infanterie britannique d’adopter des équipements similaires.
Les quatre armures – celles de Ned, Dan, et Steve – ont été réparties entre la State Library of Victoria et le Victorian Police Museum, où elles sont encore exposées aujourd’hui.
L’histoire de Ned Kelly, le Iron Man australien, est aujourd’hui romancée, faisant de lui un symbole de la résistance contre l’oppression et un défenseur des classes laborieuses. Son héritage continue de nourrir le débat sur la justice et le traitement des communautés marginalisées en Australie.
À travers ses exploits, ses lettres enflammées dénonçant la corruption et son armure emblématique, il demeure une source d’inspiration pour de nombreux artistes, historiens, cinéastes et passionnés d’ingéniosité – un récit à la fois tragique, héroïque et empreint d’une ironie implacable.
L’armure de Ned Kelly se trouve à la Bibliothèque d’État de Victoria, à Melbourne, en Australie. Crédit photo : Chensiyuan (CC BY-SA 4.0).
Via Amusig Planet.
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