Elle se tient là, seule sur une pelouse, les cheveux flottants dans le vent, entourée de corbeaux immobiles. Elle domine le Danube et veille sur Bratislava depuis la colline du château.
Cette sculpture baptisée La fille aux corbeaux, mais surnommée localement la sorcière de Bratislava (Bosorka), intrigue autant qu’elle émeut. Derrière sa beauté tranquille se cache une histoire bien plus sombre : celle de femmes accusées de sorcellerie et brûlées vives dans la ville de Pressburg.
Crédit photo kornienkoalex.
Une sorcière qui n’a jamais volé
Entre le XVe et le XVIIe siècle, des milliers de femmes ont été arrêtées dans toute l’Europe pour des accusations qui aujourd’hui semblent absurdes. À Bratislava, les procès étaient publics, la peur omniprésente et les aveux… souvent obtenus sous la torture.
Le cas le plus célèbre est celui d’Agáta Tóthová-Barlabášová, arrêtée en 1602 pour avoir, selon ses accusateurs, « nui à une boucherie » et « volé sur un balai ». Elle a été exécutée sur la colline que la sculpture surplombe aujourd’hui. Une ironie cruelle : là où l’on faisait mourir les prétendues sorcières, on contemple désormais l’une d’elles dans le calme du soir.
Ce mélange de légende et d’histoire n’est pas unique à Bratislava. À des centaines de kilomètres au nord, une pierre commémore les bûchers écossais : la Pierre des Sorcières de Forres, vestige silencieux d’une époque tout aussi impitoyable.
Crédit photo photobeppus (CC BY-SA 2.0).
Une œuvre d’art au message universel
Créée à la fin des années 1980 par le sculpteur Tibor Bártfay, la statue représente une jeune femme assise ou penchée, les pieds nus, les cheveux dans le vent. Autour d’elle, des corbeaux figés dans une composition dynamique. Le matériau choisi — le bronze — résiste au temps et aux hivers rudes de Bratislava, mais il se couvre peu à peu d’une patine vert-de-gris qui lui donne une aura presque spectrale.
La position de la sculpture n’est pas anodine. Elle marque le passage entre le château et la vieille ville, sur un sentier emprunté autrefois par ceux qui menaient les accusées vers leur jugement. Un peu comme le dolmen de Sorginetxe, au Pays basque, ce lieu mêle subtilement mémoire, mystère et beauté paysagère.
Une mémoire qui voyage
Les corbeaux de la sculpture ne sont pas là que pour la décoration. Ce sont des symboles puissants, liés aux légendes populaires dans toute l’Europe : messagers, gardiens du seuil, présences ambiguës.
À l’est, une autre figure féminine a marqué l’histoire pour des raisons bien moins romantiques : Baba Anujka, la « sorcière de Banat », considérée comme l’une des plus vieilles tueuses en série du monde. Preuve que la frontière entre sorcière fantasmée et sorcière redoutée a toujours été ténue.
La statue de Bratislava, elle, fait le choix inverse : transformer la peur en hommage, le feu en art, la condamnation en contemplation.
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Crédit photo diegograndi
Une sorcière moderne au cœur de l’Europe
L’emplacement offre une vue imprenable sur le Danube et la vieille ville. Les photographes s’y pressent, les voyageurs s’y arrêtent, et les habitants passent devant elle comme on passe devant une amie muette mais fidèle.
La figure de la sorcière, autrefois symbole d’effroi, est aujourd’hui récupérée par les artistes et les lieux culturels. À Salem (USA) par exemple, Witch House attire chaque année des milliers de visiteurs venus exorciser une peur collective vieille de plusieurs siècles. Bratislava fait la même chose, mais avec une statue et des corbeaux en guise de mémoire.
Voir la sorcière de Bratislava
Pour y accéder, pas besoin de balai volant, une simple promenade suffit. L’adresse exacte de la sorcière de Bratislava : Mikulášska 5b, Bratislava, Slovaquie. Coordonnées GPS : 48°08’34.5″N 17°06’10.5″E.
Voici sa position sur Google Maps:
La sculpture est installée à flanc de colline, entre le château et la vieille ville. La lumière la plus magique ? Celle du matin ou du soir, quand le soleil rase les toits rouges de Bratislava et que les corbeaux de bronze semblent prendre vie.
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