La grenouille volante de Wallace ou l'art du camouflage en crotte

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Dans le monde fascinant de la nature, certaines créatures développent des stratégies de survie pour le moins inattendues.

C’est le cas de la grenouille volante de Wallace (Rhacophorus nigropalmatus), qui a récemment fait l’objet d’une étude révélant une technique de camouflage des plus surprenantes : le camouflage en crotte.

Grenouille de Wallace juvénile, camouflée | Crédit photo Susanne Stückler et al. / Écologie comportementale et sociobiologie.

Un camouflage en crotte juvénile

Les forêts tropicales de Thaïlande, de Malaisie et d’Indonésie abritent ces amphibiens extraordinaires qui ont développé une méthode de défense unique en son genre. Pendant leur stade juvénile, les grenouilles volantes de Wallace adoptent une apparence qui imite à la perfection les excréments d’oiseaux. Ce camouflage en crotte est si convaincant qu’il trompe même les prédateurs les plus avisés.

Il contraste fortement avec l’apparence des adultes :
• Les juvéniles : d’un rouge vif avec des taches blanches, ressemblant à s’y méprendre à des fientes d’oiseaux.
• Les adultes : d’un vert émeraude uniforme, se fondant parfaitement dans le feuillage de la canopée.

Cette coloration particulière des juvéniles n’est pas le fruit du hasard. Les scientifiques ont émis l’hypothèse que cette apparence inhabituelle imite les excréments d’oiseaux ou de chauves-souris, servant ainsi de stratégie de défense. Les taches blanches joueraient un rôle crucial en renforçant la ressemblance avec les déjections et en signalant aux prédateurs potentiels que ces « excréments » ne sont pas comestibles.

Si le camouflage en crotte n’est pas rare dans la nature, voir par exemple celui du scarabée punk ou bien d’autres insectes, il est toutefois une première chez les batraciens.

Une grenouille Wallace | Crédit photo Rushenb sur (CC BY-SA 4.0).

Une expérience révélatrice

Pour tester cette théorie, les chercheurs ont conçu une expérience ingénieuse. Ils ont créé des modèles de grenouilles en paraffine, déclinés en quatre couleurs différentes : rouge avec taches, rouge uni, vert et blanc non peint. Ces modèles ont été placés dans une vaste forêt tropicale du zoo de Vienne, abritant de nombreux oiseaux prédateurs de grenouilles1
.
Les résultats de cette expérience se sont révélés surprenants et riches d’enseignements :
• Les modèles rouges ont subi deux fois plus d’attaques que les modèles tachetés.
• L’ajout de taches blanches a réduit les attaques de 50%.
• Les modèles verts ont connu des taux d’attaque statistiquement équivalents à ceux des juvéniles tachetés.
• Les modèles blancs ont été les moins attaqués
.
Ces résultats démontrent clairement que le motif de coloration des juvéniles fonctionne comme un « masque » efficace, trompant les prédateurs en leur faisant croire qu’il s’agit d’objets non comestibles, tels que des excréments. Les taches blanches, en particulier, jouent un rôle clé en transformant le rouge vif en un camouflage efficace.

Un changement ontogénétique

Les découvertes de cette étude révèlent également un changement ontogénétique notable chez les grenouilles volantes de Wallace. Il s’agit d’une modification importante de la stratégie défensive, passant du masquage à la cryptie, entre les phases juvénile et adulte de la vie de ces amphibiens.

Ce changement drastique est peu commun dans la nature. Dans la plupart des cas, les animaux passent du camouflage à la conspicuité en vieillissant. Les grenouilles volantes de Wallace sont uniques en ce qu’elles passent d’un camouflage voyant à une coloration cryptique subtile.

Selon les chercheurs, ce changement de stratégie correspond probablement à des modifications d’habitat au cours du développement de ces grenouilles :
• Les juvéniles passent généralement plus de temps dans les niveaux inférieurs de la forêt, où ressembler à des excréments leur offre une protection efficace.
• Les adultes vivent principalement dans la canopée, où la coloration verte leur procure le meilleur camouflage possible.

Cette étude souligne la façon dont les animaux adaptent leurs défenses à leur environnement à différents stades de leur vie. Dans le cas des grenouilles volantes de Wallace, cela implique une transformation visuelle drastique, passant de l’apparence d’excréments d’oiseaux à celle de feuilles, pour échapper aux prédateurs tout au long de leur cycle de vie complexe.

Spécimen adulte, camouflé | Crédit photo Susanne Stückler et al. / Écologie comportementale et sociobiologie.

La grenouille de Wallace, un batracien aux multiples talents

Plutôt que d’être toxique comme d’autres grenouilles afin de dissuader les prédateurs, la grenouille volante de Wallace est donc une experte du camouflage, excrément quand elle est juvénile et feuille à l’âge adulte.

Cette grenouille arboricole dispose d’une autre arme contre les prédateurs: elle peut voler, d’où son appellation de grenouille volante!

Il ne s’agit pas d’un vrai vol à l’instar du lémurien volant, mais plutôt de planer en se jetant de la cime des arbres grâce à ses larges membranes interdigitales.