Une association entre des équipes de Google et de Harvard a permis la publication de la carte du cerveau humain la plus détaillée à ce jour.
A partir de seulement 3 mm de tissu cérébral et grâce à la modélisation par apprentissage automatique, les chercheurs ont pu établir une carte des tissus cérébraux à la plus haute résolution au monde, une carte comportant 57 000 cellules et 150 millions de synapses.
Crédit photo : Google Research & Lichtman Lab (Université de Harvard)/Rendu par D. Berger (Université de Harvard)/ CC BY-NC-ND 4.0.
Alors que le tissu cérébral prélevé n’avait que la taille d’un demi-grain de riz, les données brutes produites par l’étude équivalaient à une capacité de stockage de 2 800 ordinateurs portables ou à 14 000 films complets.
Viren Jain , co-auteur de l’étude et neuroscientifique chez Google, a déclaré à Nature :
C’est un peu humiliant. Comment allons-nous vraiment faire face à toute cette complexité ?
Les chercheurs ont publié ouvertement les 1,4 pétaoctets de données brutes afin que chacun puisse utiliser et observer ces données et, peut-être participer à démêler les complexités du cerveau.
Rendu basé sur des données de microscope électronique, montrant les positions des neurones dans un fragment du cortex cérébral. Les neurones sont colorés selon leur taille. (Crédit photo : Google Research & Lichtman Lab (Université de Harvard)/Rendu par D. Berger (Université de Harvard)/ CC BY-NC-ND 4.0. )
Le tissu cérébral d’origine provient d’une femme de 45 ans qui a subi une intervention chirurgicale pour soigner son épilepsie. Il s’agit d’un cas rare de tissu cérébral vivant que les chercheurs ont pu conserver dans de la résine, car les biopsies cérébrales sont rares et ne concernent généralement que des tumeurs. De plus, les cadavres, souvent utilisés dans la recherche médicale (quelques siècles auparavant il fallait d’ailleurs protéger les cimetières), ne sont d’aucune utilité car le cerveau se décompose rapidement.
Une fois le tissu préservé, les scientifiques ont dû le couper en 5 000 tranches de 30 nanomètres d’épaisseur. Ces tranches ont ensuite été examinées au microscope électronique spécialement conçu pour cette étude. Cela a pris plus d’un an, mais l’intelligence artificielle a ensuite pris le relais pour reconstruire correctement les images, en s’assurant que chaque neurone était connecté aux bonnes synapses.
Répartition des cellules, des vaisseaux sanguins et de la myéline dans l’échantillon. Les lignes blanches dans tous les panneaux indiquent les limites approximatives des couches estimées à partir du regroupement de cellules. R : Les 49 080 corps cellulaires de neurones et de cellules gliales étiquetés manuellement qui ont été trouvés dans l’échantillon, colorés par le volume du corps cellulaire. B : Tous les neurones classés comme cellules épineuses (putativement excitatrices), extraits du C3-aggloméré. (Crédit photo : Google Research & Lichtman Lab (Université de Harvard)/Rendu par D. Berger (Université de Harvard)/ CC BY-NC-ND 4.0.)
La reconstruction 3D, complète avec tous les éléments comme les cellules gliales, le système vasculaire sanguin ou la gaine de myéline qui entoure le neurone, a déjà permis des observations étonnantes.
Jeff Lichtman , le biologiste moléculaire et cellulaire qui dirige le laboratoire de Harvard travaillant sur le projet , déclare:
il contenait tellement de choses qui étaient incompatibles avec ce que l’on lirait dans un manuel.
L’une des découvertes les plus intrigantes concerne les multiples neurones connectés à de nombreuses synapses, certains allant jusqu’à plus de 50 connections. 96 % des neurones ne se connectent qu’à une seule synapse et 99 % ont moins de trois connexions synapses. Les scientifiques ne savent pas exactement ce que signifient ces neurones extra-connectés, mais la théorie actuelle est que cela pourrait être à quoi ressemble une réaction bien apprise qui demande peu de réflexion, un réflexe en quelque sorte. Par exemple, bouger le pied pour freiner est tellement ancré dans l’esprit des conducteurs expérimentés qu’ils n’y pensent pas consciemment en faisant le geste. Ca sera peut-être le cas dans quelques années pour un troisième pouce robotisé.
Acquisition d’images pour l’échantillon de cerveau humain. Un échantillon chirurgical frais de cortex cérébral a été rapidement conservé, puis coloré, incorporé dans de la résine et sectionné. Plus de 5 000 sections séquentielles d’environ 30 nm ont été collectées sur bande à l’aide d’un ATUM (panneau supérieur gauche). La boîte jaune montre le site où l’échantillon de cerveau est coupé avec le couteau diamanté et où de fines sections sont collectées sur le ruban. La bande a ensuite été découpée en bandes et imagée dans un microscope électronique à balayage multifaisceau (mSEM). Cette grande machine (voir panneau du milieu avec une personne sur une chaise comme référence) utilise 61 faisceaux qui imagent simultanément une zone hexagonale d’environ ~10 000 μm 2 (voir en haut à droite). Pour chaque section fine, tous les carreaux obtenus sont ensuite cousus ensemble. Une de ces sections cousues est illustrée (en bas). Cette section a une superficie d’environ 4 mm2 et a été imagée avec 4 x 4 nm2 pixels. Compte tenu de la nécessité d’un certain chevauchement entre les tuiles cousues, cette seule section a nécessité la collecte de plus de 300 Go de données. (Photo : GOOGLE RESEARCH & LICHTMAN LAB, HARVARD UNIVERSITY / D. BERGER (RENDERING)/ CC BY-NC-ND 4.0.)
Plusieurs autres éléments ont surpris les scientifiques, notamment le fait que les neurones pyramidaux, qui possèdent des dendrites (les branches qui transportent les informations d’un neurone), sont symétriques. En outre, ils ont découvert des axones – des branches qui transportent les informations d’une synapse au corps cellulaire – qui formaient des verticilles, tournant en rond autour d’eux, ce qui n’avait jamais été vu auparavant.
Evidemment, avec davantage de personnes examinant minutieusement les données de cette carte du cerveau humain, de nombreuses autres voies s’ouvriront pour la recherche sur les neurones.
Des cartes cérébrales ont déjà été créées, à partir de 1986, lorsque 302 neurones ont été cartographiés chez un ver rond. Des cartes plus complexes d’autres espèces ont été aussi réalisées, mais il faudra des années et des progrès technologiques pour obtenir un cerveau humain entièrement cartographié à cette résolution.
En attendant, l’équipe a aussi cartographié l’hippocampe d’une souris, un animal qui possède un cerveau assez similaire à celui des humains en termes de structure et de composition neuronale. En cas de succès, une cartographie du cerveau de souris pourrait donner un aperçu de la façon dont les humains apprennent et même du fonctionnement du libre arbitre.
Un seul neurone (blanc) représenté avec 5 600 des axones (bleu) qui s’y connectent. Les synapses qui établissent ces connexions sont indiquées en vert. (Photo : Google Research & Lichtman Lab (Université de Harvard)/Rendu par D. Berger (Université de Harvard)/ CC BY-NC-ND 4.0.)
Via Smithsonian Magazine.
Cette carte du cerveau humain est une vraie avancée dans la recherche sur le fonctionnement de cet incroyable organe, bien loin des hypothèses empiriques d’une autre époque comme par exemple le phrénomètre électrique Lavery pour évaluer l’intelligence et le caractère au début du 20ème siècle.