Quand on parle de héros de guerre, on pense souvent à des soldats, des maquisards, des saboteurs audacieux. Pourtant, certaines héroïnes ont pris les armes les plus inattendues : une craie, un tablier d’écolier et une bonne dose de courage. C’est le cas d’Andrée Geulen, institutrice belge devenue résistante et figure majeure du sauvetage des enfants juifs durant l’occupation allemande.
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Un réveil brutal dans une salle de classe
Andrée Geulen est née le 6 septembre 1921 à Schaerbeek, en Belgique. Elle a grandi dans une famille bourgeoise et libérale, puis elle est devenue institutrice à Bruxelles pendant la Seconde Guerre mondiale.
En 1942, un événement a bouleversé sa vie : un matin, elle a vu arriver dans sa classe des élèves portant l’étoile jaune cousue sur leur manteau. Face à cette injustice flagrante, elle a décidé que tous les élèves, juifs ou non, porteraient un tablier pour dissimuler ce stigmate. Un geste simple, mais lourd de sens : ce jour-là, elle a basculé dans la résistance.
De l’école au réseau clandestin
Après cet épisode, Andrée a rejoint clandestinement le Comité de Défense des Juifs (CDJ), l’un des réseaux les plus efficaces de Belgique. Sous une fausse identité, elle a commencé à accompagner des enfants juifs, à convaincre leurs parents de les confier à des familles ou à des institutions prêtes à les cacher, et à leur procurer de nouvelles identités.
Elle enseignait alors à l’Athénée royal Gatti de Gamond, une école où plusieurs enfants étaient dissimulés. En mai 1943, une descente de la Gestapo a eu lieu dans l’établissement. Elle a réussi à échapper à l’arrestation, mais l’événement a renforcé sa détermination à agir.
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Des carnets codés et des vies sauvées
Pour ne jamais perdre la trace des enfants qu’elle plaçait, Andrée a tenu des carnets codés indiquant leurs noms d’origine, leurs faux noms et leurs cachettes. Cette rigueur a permis, après la guerre, de réunir des familles dispersées par la Shoah.
Elle a participé à la mise à l’abri d’environ 300 à 400 enfants, et le réseau dans son ensemble en a sauvé plusieurs milliers. Ce n’était pas sans risque : à chaque déplacement, elle pouvait être arrêtée, interrogée, voire déportée. Elle a continué malgré tout, animée par une conviction simple : désobéir aux lois injustes était la seule chose juste à faire.
Cette bravoure rappelle le destin d’autres femmes résistantes, comme Hannie Schaft, “la fille aux cheveux roux” aux Pays-Bas, ou encore Simone Ségouin, la résistante française sans peur.
Après la guerre : réparer, reconstruire, témoigner
Lorsque Bruxelles a été libérée en septembre 1944, Andrée Geulen a participé à la difficile mission de réunir les enfants cachés avec leurs familles — quand celles-ci avaient survécu. Beaucoup d’entre eux n’avaient plus de parents, mais grâce à ses carnets, leurs histoires ont pu être restituées.
Elle a épousé en 1948 Charles Herscovici, survivant des camps, et a consacré une partie de sa vie à témoigner. En 1989, Yad Vashem l’a reconnue comme Juste parmi les nations. En 2007, elle a reçu la citoyenneté israélienne d’honneur. Elle s’est éteinte le 31 mai 2022 à l’âge de 100 ans.
Andrée Geulen, héroïne discrète mais essentielle
Andrée Geulen n’a jamais cherché la gloire. Elle a souvent répété qu’elle n’avait fait que « ce qui était normal ». Cette humilité contraste avec la grandeur de son acte : sauver des enfants, au péril de sa vie, pour préserver l’humanité dans un monde qui sombrait.
Elle partage ainsi une fraternité d’âme avec Ida et Louise Cook, deux sœurs anglaises qui ont sauvé des dizaines de vies sous couvert de voyages élégants, ou encore avec d’autres résistantes anonymes à travers l’Europe.
Un héritage toujours vivant
Aujourd’hui, son histoire continue d’inspirer. Elle rappelle que les actes de résistance ne passent pas forcément par les armes : une institutrice, un tablier, un carnet codé peuvent changer des destins. Elle incarne une résistance civile intelligente, courageuse et profondément humaine.
Sources pour aller plus loin
• Yad Vashem
• Washington Post
• Kazernedossin.eu
• Wikipedia (FR)
• Wikipedia (EN)
Cet article s’inscrit dans une série consacrée aux femmes résistantes et aux anonymes héroïques qui ont changé le cours de l’Histoire.